Les infrasons du CRD – semaine 15-20Hz

(les infrasons sont des sons graves que l’on n’entend pas… mais qui résonnent dans notre inconscient, voire notre sub-conscient !)

Mardi 16 juin devait avoir lieu le concert de clôture de la Saison des « Auditeurs du soir » à l’auditorium Karl Riepp, avec entre-autre le célèbre conte musical « Pierre et le Loup » par Isabelle Debever au violon, Jean-Michel Distel au piano et Jacques Pithioud, récitant.

Tout le monde connaît « Pierre et le loup », œuvre célébrissime composée par Serge Prokofiev pour le « Théâtre central pour enfants » de Moscou en 1936. Cette pièce avait pour objectif de familiariser les jeunes enfants aux timbres des instruments de l’orchestre… mais savez-vous qu’un autre compositeur, l’anglais Benjamin Britten, s’est plié au même exercice dix ans plus tard avec son « Young Person’s Guide to the Orchestra » ?

(pour travailler votre humour anglais… !)
Pierre et le loup,
illustration de Sandrine Kao

Plutôt que de décrire à nouveau cette pièce ultra connue, nous allons vous présenter trois moyens musicaux utilisés dans Pierre et le Loup : le « leitmotif », le « figuralisme » et l’« ethos »… ainsi que l’exercice de la « transcription » d’une pièce d’orchestre pour un duo violon et piano !
Le leitmotif est un procédé qui consiste à attribuer à un personnage (ou à un objet, une idée…) un thème ou motif musical que l’on retrouvera tout au long de l’œuvre. Ce motif pourra évoluer selon le contexte de l’histoire ou l’état psychologique du personnage… mais il sera toujours reconnaissable, comme une sorte de « signature musicale ».

Le principal compositeur à utiliser le leitmotif est Richard Wagner. Les leitmotives du Graal, de l’épée Excalibur, des principaux personnages (Siegfried, Parsifal, etc…)… vont revenir tout au long de ses opéras qui racontent la quête du Graal. 
Le procédé a été repris au cinéma, notamment par John Williams dans la saga Star Wars : le thème de la Force, ou encore celui de Dark Vador et de l’Empire, reviennent à plusieurs reprises pour accompagner la personne ou le symbole auquel ils sont attribués.

# Dans Pierre et le loup, chaque « personnage » est représenté par un leitmotif, associé à un timbre instrumental : Pierre est représenté par les cordes, l’oiseau par la flûte, le chat par la clarinette, le canard par le hautbois, le grand-père par le basson, le loup par les cors… 

Un petit jeu ?

Le figuralisme est un procédé qui consiste à imiter la nature au moyen d’éléments musicaux. Ce procédé a été utilisé en musique depuis le moyen âge (et même avant si l’on considère que l’homme préhistorique imitait sans doute les cris d’animaux avec sa voix ou des appeaux pour les attirer…). A l’époque baroque (XVII° et XVIII° siècles) on imitait souvent les oiseaux… et même les poules avec Rameau !

On imitait aussi les tempêtes, la neige qui tombe… comme dans les célèbres « Quatre saisons » d’Antonio Vivaldi. Olivier Messiaen, qui était également ornithologue, utilisait dans ses compositions des chants d’oiseaux qu’il avait enregistré et qu’il reproduisait musicalement avec toute leur complexité :

# Voici dans Pierre et le loup le thème de l’oiseau, avec ses petites notes répétées :

On pourrait encore citer les « coups de feu » des chasseurs, imités par des coups de timbales et de grosse caisse…

Le troisième procédé est plus « subtil » et va au-delà de l’imitation : il consiste à rechercher une tonalité, une courbe mélodique, un motif rythmique, un timbre instrumental… qui corresponde à un caractère, un état d’âme, une manière d’être… un « ethos » en grec. A l’époque baroque encore, nous avons des exemples à travers les traités musicaux, les Caractères de La Bruyère ou les Fables de Jean de La Fontaine, dans lesquelles il attribue aux animaux des « caractères humains »… 

Pour aller encore plus loin (et sans tomber dans la caricature comme s’est plu à le faire G. Hoffnung par exemple, voir dessins ci-après) l’association entre un choix d’instrument et le « caractère » de l’instrumentiste qui en joue n’est souvent pas que le fruit du hasard… 

# Si le choix de la flûte pour représenter un oiseau… ou une coquette frivole comme ci-dessus semble être une évidence (pardon Jean-Henry pour la coquette frivole…), le choix du cor pour le loup ou du hautbois pour le canard, de la clarinette pour le chat ou du basson pour le grand-père font appel à des notions plus subjectives : cela peut se rapprocher de l’imitation (timbre un peu nasillard du hautbois avec son anche double, associé à un rythme un peu « bancal », rappelant la démarche du canard), ou d’un aspect plus psychologique : le grand-père « chef de famille », tout comme Zarastro dans la Flûte enchantée de Mozart s’accordent avec le registre grave, associé à la sagesse de l’âge « mûr »… Il peut s’agir encore d’une « suite d’idées » : le cor fait penser à la chasse… qui renvoie à la forêt et à ses peurs… et donc au loup ! Nous pouvons aussi nous amuser à inverser le propos : Depuis la composition de « Pierre et le loup », le son de la clarinette est inéluctablement associé au « chat »… tout comme celui du saxophone est désormais associé à une certaine panthère… rose ! 

… Un petit film d’animation pour terminer cet « infrason » ! :

Prêts pour un petit « bis » ?… : 

Le programme devait comprendre des transcriptions de pièces pour orchestre de Prokofiev : « Pierre et le loup », donc et « Cendrillon »… pour un duo piano – violon !

Les difficultés de la transcription…
Il est forcément difficile de rendre les effets de nuances et la variété des timbres instrumentaux d’un orchestre complet avec « seulement » un piano et un violon ! Concernant « Pierre et le Loup », l’exercice est d’autant plus périlleux que, comme nous l’avons vu, les timbres des instruments (flûte = oiseau, basson = grand père, cors = loup, etc…) sont des éléments clé de l’histoire qui, elle aussi, a dû être adaptée.

…. et ses atouts !
Cet exercice de la transcription demande un véritable travail de recherche de la part des musiciens, qui doivent utiliser au maximum les capacités de jeu et d’expression de leurs instruments (choix des registres, modes de jeu variés, association des timbres…) afin d’« évoquer » les sonorités d’origine… Cela leur demandera aussi de retrouver la « substantifique moelle » de l’oeuvre, afin de se détacher du souci d’en reproduire les détails, pour en faire une « adaptation » qui modifiera a minima la partition d’origine !

De l’adaptation à la véritable création…
L’étape suivante consisterait à se servir de cette « moelle » et à l’utiliser pour créer une pièce « complètement nouvelle » : C’est ce qu’a fait par exemple Jean-François Verdier, Directeur artistique et musical de l’Orchestre Victor-Hugo Franche-Comté, dont Isabelle Debever est violoniste co-soliste, en composant : « Le canard est toujours vivant ! », une suite à la pièce de Prokofiev « Pierre et le loup »…
Pierre et le loup : 70 ans après, le canard fait son grand retour